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La Communauté Saint-Jean
La Communauté Saint-Jean est fondée sur un océan de souffrance. Souffrance physique mais aussi et surtout spirituelle : abandon de Dieu, nuits obscures, descentes en enfer, comme on peut le percevoir dans les notes que j’ai prises sur les expériences spirituelles d’Adrienne von Speyr et qui seront bientôt accessibles à tous. Que ce soit elle qui ait tracé les premières esquisses de la communauté qu’elle devait fonder avec moi, on le voit dans L’Institut Saint Jean (Lethielleux, 1986), où l’on trouve aussi le plan général de cette communauté. Bâtie sur la « roche » de cette souffrance, la maison tiendra face à tous les flots auxquels il faudra s’attendre, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église.
Pourquoi saint Jean (dont Adrienne a commenté exhaustivement les écrits) comme patron ? Parce qu’il est le disciple de l’amour qui a pénétré le plus profondément les mystères de l’Homme-Dieu, et qu’il a perçu l’identité en Lui d’amour et d’obéissance au Père. Parce qu’il est le Vierge qui a reçu pour tâche d’accueillir en sa maison la Vierge-Mère afin de la faire entrer dans l’Église conduite par Pierre, réunissant ainsi la sancta immaculata ecclesia (Ep 5,27) à l’ecclesia apostolica visible. Parce qu’étant celui qui aime, il demeure jusqu’à la fin (Jn 21,23), mais toujours en se retirant à l’arrière-plan (« M’aimes-tu plus que ceux-là ? »), étant même dans ses vieux jours repoussé dans un coin (3 Jn 9-10). C’est dans son esprit que les conseils évangéliques sont si importants pour nous (quant à la pauvreté, au fond elle va de soi aujourd’hui) ; et nous essayons de les prendre au sérieux comme le Seigneur le veut dans l’Évangile.
Ce que nous voulons devenir, c’est un institut « séculier » [dans le monde], car Jésus envoie les siens exclusivement dans le monde séculier, il les expose comme des brebis au milieu des loups. Il est plus difficile d’être un chrétien intégral lorsqu’on est ainsi exposé que là où l’on est chrétien au milieu d’autres chrétiens, et cela vaut pour les trois branches de notre communauté : la branche sacerdotale, et celles des laïcs et laïques consacrés qui exercent une profession séculière. Dans des paroisses sécularisées, dans un milieu professionnel non chrétien, voilà où chacun doit faire ses preuves. Et si chaque membre est soutenu et encouragé par la conscience d’avoir des frères et des sœurs qui sont dans la même situation, il ne doit pas tenter d’escamoter la solitude évangélique de cette position par un « esprit de famille » non évangélique. On aspire à constituer de petits groupes qui vivent ensemble – en particulier chez les femmes – mais cela ne réussit pas toujours. Les membres se rencontrent pour échanger et se raffermir mutuellement. Chez les prêtres en particulier, cela se fait à intervalles de temps plus grands pour ne pas perturber le lien collégial avec le reste du clergé du diocèse. Si lors de ces rencontres sacerdotales sont traitées des questions théologiques et pastorales, tous les confrères, même ceux qui n’appartiennent pas à la Communauté, peuvent y prendre part.
Nous voulons réagir délibérément au grand danger qui menace les groupes ecclésiaux postconciliaires : le danger de considérer son propre mouvement ou groupuscule comme la seule planche de salut et de se dépenser de façon disproportionnée pour en faire connaître la réalité. Lorsque quelque chose d’efficace a été fait dans l’Église, jamais il ne fut question de nombre, mais de crédibilité, de force de témoignage de l’individu. La parabole du peu de grain qui est tombé dans la bonne terre et qui, compensant toutes les pertes, a porté du fruit au cent pour un, n’a cessé de manifester sa vérité. Nous ne recherchons pas le pouvoir, de façon délibérée, ni dans le monde ni dans l’Église, car, suivant saint Paul, voici les principes qui demeurent éternellement vrais : « lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort », « Dieu nous a mis, comme apôtres, à la dernière place », « nous sommes comme des mourants, mais vois : nous vivons ».
Nos membres ont pour devoir de connaître et de vivre la foi bimillénaire (qui aujourd’hui n’a pas changé) mais aussi de se familiariser avec toutes les questions du monde actuel. Théologiquement, nous ne sommes ni « à droite » ni « à gauche » ; de telles catégories ne nous concernent pas, pas plus que les étiquettes politiques. Or, nous ne laissons pas notre foi s’affadir jusqu’à ce qu’elle finisse par perdre son efficacité apostolique. Il est difficile, de nos jours, et spécialement pour des étudiants de théologie, de prendre clairement connaissance de toutes les protubérances et aberrations de la théologie (ce qui ressort d’ailleurs de leur devoir), et de conserver en même temps cet enthousiasme, qui porte toute la vie, pour la réalité incomparable de Jésus-Christ. Il est difficile pour des laïcs de vivre dans la gadoue de notre société hypersexualisée et athée et de conserver le sens de la fécondité d’une vie dans le célibat, sans pour autant se mettre des œillères qui cachent la direction contraire, incarnatoire, de l’événement du Christ. Or, nous ne voulons pas être des Robinsons sur des îles sacrées. C’est d’ailleurs là où le christianisme se trouve du côté de la contestation qu’il se développe manifestement au mieux, comme nous l’enseignent les pays de l’Est. Et peu à peu, chez nous aussi, l’Église catholique sera la seule sur laquelle on pourra déverser la boue de toutes sortes de calomnies (Paul se définissait déjà « l’ordure du monde », 1 Co 4,13). Cela aussi fait partie de la pauvreté évangélique, et justement aujourd’hui à nouveau.
Naturellement, nous ne repousserons pas des postes influents s’ils devaient nous être offerts, mais il nous faudra être doublement sur nos gardes face au danger du pouvoir et de la domination, et ne pas mettre l’épée avant la croix, comme cela est advenu autrefois lors de la conquête de l’Amérique latine. L’engagement pour les pauvres et les impuissants appartient au cœur de l’Évangile ; chez prêtres et laïcs, il diffère seulement dans sa forme. Et un engagement total est exigé de chaque membre, mais nous savons bien en même temps que « le succès n’est pas un nom de Dieu » [Buber].
Le tout repose sur une théologie vécue profondément par la fondatrice et qui a trouvé dans ses écrits une formulation tout à fait unique ; il vaut mieux éviter le mot ambivalent de « mystique », il s’agit ici du charisme de prophétie au sens originaire : « pouvoir dire ce que Dieu est et veut – aujourd’hui ». Sa vie et ses écrits sont un réservoir inépuisable pour ce que Péguy a appelé le « ressourcement » : repuiser à la première source et y redevenir nouveau. Nous sommes convaincus que dans les grands ordres – depuis saint Basile et saint Augustin jusqu’à saint Ignace de Loyola – la théologie spirituelle vécue et formulée par le fondateur a garanti la fécondité de ses membres à travers les siècles, voire les millénaires (saint Benoît !), et que dans les instituts séculiers actuels la loi n’a pas changé. C’est aux fruits que l’on devrait pouvoir reconnaître l’arbre bon, mais l’arbre ou la racine ou la vigne est toujours Jésus-Christ, qui dans son unicité a néanmoins le pouvoir de faire participer ceux qu’il a choisis à tout ce qu’il est et a, et donc aussi à son « être vigne ». L’histoire montre combien de telles vocations exigent en termes de prière de souffrance – que l’on pense à saint François d’Assise – et les journaux intimes d’Adrienne von Speyr le montreront aussi à leur manière (mais rappelons qu’Adrienne a constamment exprimé une peur profonde d’être prise pour une sainte).
Nos membres font face à leur engagement dans le monde par un perpétuel renouvellement dans la prière contemplative, et cela doit leur permettre de devenir eux-mêmes des sources pour nombre d’assoiffés.
Hans Urs von Balthasar
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Die Johannesgemeinschaft
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French
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GermanPublisher:
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2022Type:
Article
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