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Lettre à une carmélite
Hans Urs von Balthasar
Une carmélite
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Thèmes
Fiche technique
Langue :
Français
Langue d’origine :
FrançaisMaison d’édition :
Saint John PublicationsAnnée :
2023Genre :
Lettre
Source
Vie Thérésienne 32/127 (1992), 447–448
Ce fut un plaisir de causer un moment avec vous, merci du temps que vous m’avez consacré. Nous avons parlé de l’obscurité de la foi et de la vocation carmélitaine. Aujourd’hui où la culture générale – autrefois chrétienne – ne soutient plus l’acte de foi, celui-ci devient plus difficile, c’est pourquoi tant de jeunes réclamaient, avant tout, une expérience de la foi. Un peu comme les pharisiens réclamaient, d’abord, un miracle, pour ensuite, croire… Expérience sociale (un groupe, une paroisse, un mouvement) ou personnelle… Cela se comprend psychologiquement.
Mais l’acte de foi en soi est pure confiance en Dieu et donc dénuement des attaches et assurances personnelles. Et si cet acte de foi devient une Suite du Christ (qui a pris sur lui le péché du monde avec son obscurcissement de Dieu), il peut paraître une suspension entre terre et ciel, comme l’était la Croix, physiquement et spirituellement. St Augustin dit que nous avons nos racines en haut, au ciel, et que donc nous pendons dans le vide – voir la petite image qu’a dessinée St Jean de la Croix : le Crucifié pendant dans le noir.
Je suis certain que la vraie vocation carmélitaine est d’être « suspendu » avec le Seigneur, sans une attache vérifiable ni sur terre ni au ciel… La petite Thérèse dans sa marche souterraine sans savoir si elle avançait et où elle aboutirait. Je pense que c’est surtout le côté « expérience » que Dieu supprime (il le garde pour ainsi dire chez lui) et qu’une sorte de demi-obscurité est caractéristique pour l’existence carmélitaine. Il ne faut pas l’identifier à la « nuit obscure » de St Jean de la Croix, laquelle était un charisme typique de fondateur, comme aussi beaucoup d’états que Thérèse d’Avila décrit. Ce sont des expériences qu’il ne faut jamais essayer de copier ou d’atteindre, ici, la petite Thérèse est un correctif indispensable.
Il est peut-être aussi bon de se rappeler que le Christ est mort dans le délaissement et que la grande lumière à laquelle tendait St Jean de la Croix – au-delà de la Nuit – n’était pas prévue pour cette vie. Dieu peut donner un avant-goût du ciel. S’Il veut et quand Il veut, mais il n’y a aucune loi, aucun système d’après lequel nous pourrions atteindre cette lumière ou consolation. Chacun a sa propre voie, prévue par Dieu ; même si la ferveur de plusieurs était égale, rien ne peut être prévu par nous.
Je vous ai dit que je pense que St Jean de la Croix a parlé de la Nuit Obscure comme de la purification nécessaire à son âme par humilité, ne voulant pas s’approcher trop du Mystère de la Croix, mais son expérience est certainement christologique ; pour nous, simples chrétiens, l’épreuve de la demi-obscurité (cf. Petite Thérèse !) suffit, elle peut être bien éprouvante si elle dure longtemps. Elle est christologique aussi.
Que l’expérience soit soustraite a toujours un effet dans le Corps Mystique : ce que Dieu nous enlève, Il le donne à d’autres qui en ont besoin. Le Carmel est – comme tout le monde le sait ou devrait le savoir – une des grandes œuvres sociales. Thérèse de Lisieux : la roue qui fait tourner toute la machine, la hiérarchie, les missions…
Soyez donc fervente pour nous autres qui vivons (dans nos actions) de votre dévouement. Les nombreux « mouvements » dans l’Église ont terriblement besoin d’un appui de prière !
Je voudrais me confier spécialement à vos prières.
Fidèlement dévoué en Notre-Seigneur et en la Vierge.