Buber prétend purifier l’idée de judaïsme de tout ballast historique, de toute bizarrerie, mais aussi de tout ce qu’elle a de flou, pour la placer aux yeux du monde dans toute sa lumineuse actualité. Il la rend compréhensible, mais aussi d’une extrême exigence. C’est pourquoi le chrétien, lui non plus, ne peut guère choisir de l’éluder. La voix de Buber, qu’elle lui dise des choses sympathiques ou non, l’oblige, par elle-même, à dialoguer. On sait combien peu ce dialogue a eu lieu depuis la fondation de l’Église chrétienne, combien le judaïsme s’est isolé d’elle, combien l’Église a tourné le dos à ce peuple rebelle. L’histoire des rapprochements et des relations est faite largement de situations malheureuses. On n’a pas perçu l’immense lumière eschatologique qui tombe sur Israël du chapitre 11 de *l’Épître aux Romains *: après avoir brillé un moment chez Origène, elle est aussitôt retombée dans l’obscurité. Avec les Lumières et le protestantisme libéral, c’est une toute autre clarté qui a pénétré les ghettos et en a ouvert les portes. On s’est facilement entendu à partir de la thèse selon laquelle Jésus était un homme religieux, doué de qualités prophétiques, qui avait vénéré, purifié et spiritualisé la religion de ses pères. Mais qu’a-t-on obtenu ? Le dialogue ne devait plus se porter que sur des différences insignifiantes dans le domaine de la philosophie religieuse. On était d’accord avant même d’entamer le dialogue. Or, entre l’antique synagogue et l’antique Église, où a-t-on discuté sérieusement, même au cours des derniers siècles ? Les dialogues valent la peine lorsqu’ils sont difficiles et qu’on ne tient qu’en luttant. Tant qu’il ne s’agit pas de pouvoir et de supériorité, mais de service à ce que chacun sent être la mission qui lui a été donnée par Dieu, on ne peut pas dire que la dureté de cette lutte n’ait jamais été une « rupture de la communication », une contravention au principe du dialogue.

Et pourtant, dans le dialogue, il existe la situation de « l’ultimatum », laquelle peut conduire au bord d’une telle rupture. La façon dont les deux grands hommes du dialogue de notre temps, Buber et Jaspers, ont l’habitude de parler avec l’Église catholique, illustre ce fait. Concrètement, cette façon peut se résumer dans le reproche suivant fait à l’Église : celle-ci serait incapable de dialogue en raison de son insurmontable intransigeance dogmatique. Parmi les chrétiens avec lesquels un véritable contact s’est établi, Buber ne mentionne que des antidogmatiques, pour ne pas dire de purs libéraux. Il n’y a pas un seul catholique. Et si du côté libéral on a publié beaucoup de choses valables, en particulier sur l’œuvre de Buber touchant la philosophie des religions, la récolte du côté catholique est maigre, et le demeure. On peut dire, cependant, que Buber n’a fondamentalement refusé aucun partenaire qui se présente comme tel.

Extrait du 1^er chapitre

La première édition du livre, chez Hegner, est de 1958.